Au fond, qu'est-ce qu'un concert ?


À nous qui naviguons à notre aise dans le monde culturel il semble normal, après avoir consulté la brochure d’un théâtre ou d’un festival, de réserver notre place pour aller écouter telle ou telle œuvre musicale interprétée par tel ou tel artiste, de payer notre place, de nous installer sur une chaise placée en rang devant une estrade, d’attendre l’arrivée des artistes en lisant le programme de salle, de les applaudir cependant qu’ils saluent avant d’aller s’installer derrière leur pupitre, d’écouter la musique dans un silence religieux, de les applaudir de nouveau brièvement à chaque fin de partie et plus longuement à la fin de la prestation, de réclamer un bis en frappant des mains en cadence puis de quitter la salle pour retrouver son quotidien, la plupart du temps sans avoir rencontré les artistes.

C’est ce que l’on appelle « le rituel du concert », qui nous est tellement familier qu’il semble aussi vieux que la musique elle-même. Il ne s’est pourtant généralisé que dans le courant du XIXe siècle et, sans être spécialiste de ce qu’on nomme en anglais (faute d’un terme français adéquat) la « performance practice », je crois pouvoir affirmer qu’il n’existait pas au XVIIe siècle.

Si certains musiciens professionnels recevaient bien chez eux des mélomanes pour des soirées musicales dont rien ne dit qu’elles étaient tarifées (comme les « Concerts chromatiques » de Charles Dassoucy) il est probable que leurs réunions ressemblaient plus à celles qui avaient cours dans les ruelles des Précieuses ou dans les académies savantes, c’est à dire à des moments de convivialité où la musique n’était que l’un des ornements de la conversation. Que ces évènements aient été payants ou non, l’idée était plus de recevoir chez soi un public choisi afin de l’y traiter en ami plutôt que de vendre une prestation artistique à un public anonyme.

Pour tous ceux qui se préoccupent d’« authenticité » dans le choix des instruments, des sources musicales et des effectifs, cette question devrait être essentielle. Curieusement, elle est rarement abordée. Nos pratiques d’exécution de la musique ancienne continuent aujourd’hui encore à se dérouler dans un cadre formel qui ne leur convient pas, qui n’a pas été conçu pour elles. Si certaines musiques ne perdent pas trop à être exécutées en concert d’autres y sont – à mon sens – absolument rétives, si bien qu’elles finissent soit par être dévalorisées, soit par disparaître purement et simplement des programmations.


Comme beaucoup de musiciens de ma génération, j’ai découvert la musique ancienne par le disque. Je pense d’ailleurs très sérieusement que, sans ce médium, la « musique ancienne » n’aurait jamais pu se faire une place dans notre paysage artistique. En effet, la sonorité intime de ses instruments et la subtilité minimaliste de nombre de ses compositions ne se prêtent que très difficilement à l’exécution dans des salles de concert conçues pour des formations importantes d’instruments modernes.

Le disque a offert aux mélomanes curieux de nouveauté – par un artifice technique en soi fort peu « authentique » – de retrouver l’esprit des musiques d’intimité de l’Ancien Régime où les instruments les plus délicats (comme le luth ou le clavicorde) pouvaient emplir les oreilles d’une richesse de timbres et de nuances sans commune mesure avec leur faible volume sonore.


Adolescent, j’ai passé des heures à écouter, au casque, des disques de musique de chambre des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans le salon de mon père, aux heures où la maison était parfaitement silencieuse, les merveilles de la hi-fi me permettaient de nager dans la plénitude de sonorités inouïes : la fulgurance du clavecin, la mélancolie du luth, le bourdonnement chaleureux de la basse de viole.

C’est donc le cœur plein d’espoir que je me suis offert mon premier concert de musique ancienne, dont j’attendais des sensations nouvelles, un plaisir accru. Dans une grande église parisienne, assis avec plusieurs centaines de personnes venues entendre le maître Gustav Leonhardt, j’ai connu l’une de mes plus grandes désillusions musicales : rien de ce qui faisait pour moi la beauté et la grandeur du clavecin n’était plus perceptible dans cette acoustique et dans ce dispositif si peu adaptés à un récital de clavecin.

Depuis, je n’ai eu de cesse de réfléchir aux possibilités (et impossibilités) de bousculer les codes du concert traditionnel pour trouver le moyen de faire entendre les musiques qui me tiennent à cœur dans un cadre
les mette véritablement en valeur. Le spectacle musical m’a d’abord semblé le meilleur moyen de créer pour elles une sorte d’écrin dans lequel l’attention du spectateur, captée par la narration, l’aiderait à entrer plus facilement dans l’intimité du jeu musical. Plusieurs des créations de Faenza furent conçues sur ce principe qui, la plupart du temps, a fonctionné comme je l’espérais. Néanmoins, la forme dont je rêvais pour faire entendre ce que j’appelle « les musiques de l’intimité », n’a été accouchée qu’en 2010, avec la naissance du « Salon de musique ».

    


L’idée de recevoir les auditeurs comme s’ils étaient nos invités, de les asseoir tout autours de nous, de faire tirer le programme aux cartes, de créer ce faisant avec le public une relation ludique, de provoquer des interactions et des dialogues, de parler de façon naturelle de nos instruments et des musiques que nous jouions, de découvrir en même temps que le public le programme de la soirée, d’abolir la distance entre auditeurs et interprètes, de varier les plaisirs de la soirée en alternant conversation, poèmes, musique, jeu théâtral, tout cela créait les conditions idéales pour partager les musiques les plus savantes avec les publics les moins avertis.

Cependant en 2018, après avoir joué ce spectacle près d’une centaine de fois devant les publics les plus variés, nous avons voulu aller plus loin. L’envie de créer notre propre salon, décoré suivant notre goût, sans avoir à recréer une nouvelle ambiance – parfois difficilement – dans chaque nouveau lieu, a commencé à devenir prégnante. Ne pouvant disposer d’un tel lieu de façon permanente, j’étais sur le point d’y renoncer quand la rencontre avec Mireille Larroche et sa péniche Adélaïde me donna l’idée d’inventer un Salon itinérant qui irait au devant du public là où il se trouve.

Monter une tournée sur les voies navigables de la Région Grand Est – malgré la beauté et l’évidence du projet – ne fut pas chose facile mais, grâce à plusieurs partenariats avec des programmateurs comme le Théâtre Louis Jouvet de Rethel, Bords2scènes à Vitry-le-François, le Festival Jean de La Fontaine à Château-Thierry, grâce à l’aide de la Communauté de communes du Pays Rethélois, de la DRAC et de la Région Grand Est, nous avons pu mettre en place cette première tournée d’un mois, qui a commencé le 5 mai dernier à Paris et qui se terminera le 8 juin prochain à Rethel.

Ce pari osé nous semble dores et déjà gagné : c’est en effet avec un immense plaisir que nous avons commencé à recevoir le public à bord d’une Péniche Adélaïde conduite avec maestria par Arthur Michel et Chloé Lucien-Brun, décorée par Ambre Sojic, illuminée par Benjamin Martineau et animée par Alexandre Verbrugghe (accueil, boissons et produits locaux !). Nous nous y sentons chez nous, dans des paysages toujours renouvelés, et y rencontrons chaque soir un public nouveau, détendu, enthousiaste et heureux de s’être embarqué pour un voyage immobile dans un autre espace-temps.

Rien que du bonheur, donc, que je vous invite à partager tout au long de notre parcours :

• le 10 et 11 mai à Château-Thierry : « Les Quatre saveurs de l’amour »
• le 13 mai à Mareuil-sur-Aÿ : « Le Salon de musique »
• le 16 mai à Vitry le François « Les Quatre saveurs de l’amour »
• le 18 mai à La-Chaussée-sur-Marne : « Le Délire des lyres »
• le 30 mai à Courcy : « Le Salon de musique »
• du 4 au 8 juin : Au fil de l’eau en Pays Rethélois
• le 4 juin à Asfeld : «Le Délire des lyres »
• le 8 juin à Rethel : « Les Aventures burlesques de Monsieur Dassoucy »
 

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